La première opération du G5 Sahel, baptisée “Haw Bi” (La Vache Noire) et, engageant des unités malienne, nigérienne et Burkinabé, a été lancée le 28 octobre 2017 dans la commune malienne de Tessit, limitrophe du Niger et du Burkina Faso. Une unité forte d’une centaine d’hommes montée sur des Toyota pick-ups commandée par un lieutenant encadrée par les blindes français et sous la couverture aérienne de la force Barkhane, “en reconnaissance d’un axe”, a fait faire à la force G5 Sahel ses premiers pas dans une zone dangereuse où les attaques terroristes sont fréquentes. Selon le lieutenant commandant l’unité, sa mission est de “patrouiller dans le secteur et sécuriser les axes routiers”. Même si les ordres reçus par l’unité proviennent d’un centre de conduite des opérations conjointes installé à Sévaré au Mali, la coordination des actions est effectuée par un PC tactique français monté pour la circonstance.
Pour l’officier français commandant les forces françaises de soutien et d’appui, Barkhane va apporter "du conseil et de l'accompagnement" pour assurer la montée en puissance des 7 bataillons qui composeront la force G5 Sahel et qui, en perspective, devront être opérationnels à la fin du mois de Mars 2018. Cet engagement au forceps de la force G5 Sahel est une réponse à l’obligation collective de succès décrétée par le Président français Emmanuel Macron et un début d’actions concrètes exigées par les américains pour se départir de leur réticence vis-à-vis de l’octroi d’un mandat de l’ONU à la force G5 Sahel pour l’emploi de la force dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Même si ce démarrage, encore balbutiant des activités de la force G5 Sahel, est à saluer, il n’en demeure pas moins que certaines observations s’imposent d’elles-mêmes.
D’abord, en ce qui concerne la cohésion, l’engagement de la force G5 Sahel sans les unités de la Mauritanie et du Tchad, mieux équipées, plus aguerries et ayant déjà fait leurs preuves dans la lutte contre le terrorisme, a manqué du tonus nécessaire pour constituer une action dissuasive effective pour les terroristes et risque de créer une fissure dans la cohésion indispensable à la force G5 Sahel. En effet, c’est en Mauritanie que les premières unités de lutte contre le terrorisme au sahel, les GLAT (Groupement de Lutte Anti Terroriste), entrainées par les américains, ont vu le jour. les GLAT ont évolué pour laisser la place aux redoutables GSI (groupements speciaux d’Intervention) qui ont montré leur efficacité en délogeant les terroristes de la frontière mauritano-malienne et en les refoulant jusqu’aux confins du bassin de Taoudeni. Les unités mauritaniennes se sont également distinguées dans le cadre des opérations du maintien de la paix, en République Centrafricaine. Quant aux unités tchadiennes, elles ont bâti leur renommée dans la lutte contre Boko Haram et dans le cadre des opérations de maintien de la paix de la Minusma.
Ensuite, sur le plan tactique, dans sa lettre, la mission a une consonance dynamique, mais en fait, dans son esprit, elle demeure statique. Or, la lutte contre le terrorisme nécessite une permanente mobilité et une grande souplesse avec la combinaison des actions de différentes grandes unités (bataillons) á un niveau plutôt opérationnel et non tactique élémentaire comme le cas échéant. Par ailleurs, l’obligation collective de succès, chère au Président français, exige que le commandement des unités destinées à la lutte contre le terrorisme soit élevé à un certain niveau de responsabilité, gage d’un succès certain. L’unité malienne, d’un centaine de combattants commandée par un lieutenant, est encadrée par une formation de même effectif, mais commandée par un Lieutenant-colonel, très expérimenté.
Enfin, en ce qui concerne les moyens, le niveau d'équipement est extrêmement faible, la logistique est inexistante et l’appui aérien est totalement absent. Les unités de combat destinées à la lutte contre le terrorisme doivent disposer d’une grande autonomie leur permettant de mener des actions prolongées dans le temps et dans l’espace sans être soumises aux caprices d’une logistique aléatoire. Car, comme l’adage tactique le dit: “logistique qui suit = tactique qui traîne”.
Dans la lutte contre le terrorisme, menée contre des groupes terroristes d’une prodigieuse mobilité et dont les seuls facteurs de succès sont le temps et l’effet de surprise, la réduction des délais d’intervention est décisive dans le déroulement ininterrompu de l’action. Sur ce plan, le démarrage des opérations de la Force G5 Sahel ne montre pas de grandes perspectives de succès. L’officier français supervisant le déroulement des actions de “La vache Noire” ne semble pas déborder d’enthousiasme. Pour lui, les unités engagées dans cette opération sont “clairement incapables de mener seules une opération de cette envergure" et d’ajouter même que “c'est difficile de dire si elles seront opérationnelles d'ici 2 ans”. En d’autres termes, il serait impossible pour la force G5 Sahel d’atteindre les objectifs fixés pour la fin de Mars 2018. Ce retard est, d’ailleurs, logique et compréhensible, tant que l’on est encore au stade de l’Exécution à l’imitation dans l’apprentissage des mécanismes tactiques élémentaires.
En somme, le démarrage des activités de la force G5 Sahel est louable, mais révèle quelques “couacs” à corriger. La lutte contre le terrorisme est une affaire très sérieuse pour faire l’objet d’une médiatisation de façade. Les résultats en début d’action sont déterminants pour la suite du déroulement des opérations et laisseront leur empreinte indélébile sur le moral des troupes engagées. Ou c’est une lutte contre le terrorisme, et, dans ce cas, elle doit requérir le sérieux nécessaire ou c’est de l’exhibitionnisme et, dans ce cas, la parade est terminée: “formez les faisceaux.”
Colonel (R) Mohamed Lemine Ould Taleb Jeddou