CEDEAO/UE : Quelles alternatives aux APE pour les PMA ouest africains ? | Mauriweb

CEDEAO/UE : Quelles alternatives aux APE pour les PMA ouest africains ?

mer, 11/05/2016 - 15:37

Dans la perspective du sommet des chefs d’Etat des pays ACP-UE prévu en Papouasie (Nouvelle Guinée) du 30 mai au 1er juin 2016, et afin de susciter un débat sur les Accords de Partenariat Economique (APE) ; j’ai décidé une fois de plus de jeter un pavé dans la mare pour baliser certaines pistes pour nos décideurs politiques. Pour un si important rendez-vous, il ne s’agit pas de réunir une équipe de « circonstances » comme le veut la coutume bureaucratique mais de faire appel à ceux qui ont été formés sur cet épineux dossier. Pour se faire, il est important de planter le décor des APE même si ça paraît quelque peu fastidieux. En outre, cette précaution me semble utile pour rafraîchir la mémoire à nos « négociateurs » et mobiliser l’expertise nationale en la matière.

 

Pour rappel, la coopération entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) a été formalisée en 1963 avec l’accord de Yaoundé. C’est en 1975, lors de la signature de la convention de Lomé I, que le système qui va régir les échanges commerciaux UE-ACP jusqu’à la fin de 2007 fut mis en place.

Ainsi, depuis plus de 40 ans, l’UE accorde aux pays ACP un régime commercial préférentiel. Les produits ACP importés par l’UE sont soumis à des droits de douane plus faibles (souvent nuls) que ceux touchant les produits provenant d’autres pays. La différence des droits de douane est appelée marge préférentielle. Les pays ACP bénéficient ainsi de préférences tarifaires, auxquelles s’ajoutent des préférences non tarifaires. Ces dernières peuvent notamment prendre la forme d’une exemption du respect d’un quota limitant la quantité d’un produit importé donné. Les préférences, qu’elles soient tarifaires ou non, sont non réciproques : les pays ACP ne sont pas tenus d’offrir un accès préférentiel sur leurs marchés aux produits européens.

Bien qu’offrant les meilleures conditions tarifaires pour l’accès au marché européen par rapport aux autres pays en développement, et bien que les ACP n’aient pas eu à ouvrir leurs marchés pour favoriser les exportations européennes, le régime commercial de Lomé n’a pas produit les résultats espérés et s’est avéré décevant. La part des ACP a fortement reculé tant dans le commerce mondial en général, que sur le marché européen (le volume des échanges entre l’UE et les pays ACP est passé de 8% en 1975 à environ 3% de nos jours.).

Les ACP n’ont pas résisté à la montée en puissance des pays en développement concurrents : les pays d’Amérique latine (café, bananes, etc.), les pays asiatiques (huiles), les pays méditerranéens (fruits et légumes, etc.).

Le partenariat commercial n’a pas permis de diversifier les exportations ou de développer la valorisation des matières premières. Les ACP exportent essentiellement des matières premières peu ou pas transformées, incluant peu d’emploi local et de valeur ajoutée.

Les matières premières sont aussi celles qui ont été le plus sensibles à l’érosion des prix et à la

dégradation des termes de l’échange. Le partenariat n’a pas permis non plus de diversifier les destinations : l’Europe reste le débouché principal des ACP, avec des produits dont la consommation par habitant augmente peu. Or, la population européenne ne s’accroît que faiblement.

 

L’érosion des préférences et la non-conformité avec les règles de l’OMC

 

Non seulement les pays ACP ont perdu une bonne part du marché européen mais deux problèmes importants ont émergé : l’érosion des préférences et la non compatibilité du régime de Lomé avec les règles de l’OMC :

L’UE a multiplié les négociations avec d’autres ensembles régionaux avec la perspective de mettre en place des accords régionaux de libre échange ou des accords d’association. Dans tous les cas, elle accordait des préférences commerciales pour l’accès à son marché en contrepartie d’un accès facilité pour ses exportations vers ces nouveaux partenaires. Mécaniquement, cela entraîne une diminution de la « marge préférentielle » des ACP, ce que l’on appelle l’érosion des préférences.

En outre, la négociation multilatérale à l’OMC intègre les produits agricoles depuis le cycle de l’Uruguay Round et l’Accord de Marrakech signé en 1994. De ce fait les droits de douane ont été abaissés au niveau multilatéral dans le cadre du processus de libéralisation des échanges. Les baisses de droits que l’UE accorde doivent être étendues à toutes les origines (clause de la Nation la plus favorisée). Ceci conduit aussi à une érosion des préférences accordées aux produits originaires des ACP.

Enfin, le régime de Lomé nécessitait une dérogation auprès de l’OMC car les règles de Lomé ne sont pas compatibles avec les règles de l’OMC. En effet, selon la clause de la nation la plus favorisée,  des concessions commerciales préférentielles ne peuvent être accordées par un pays (ou une région) à un autre pays (ou région), sans que ce soit étendu à tous les autres pays, sauf dans les deux cas suivants:

(i) si la préférence est accordée à l’ensemble des pays en développement ou à l’ensemble des pays les moins avancés (PMA); (ii) si cette concession est réciproque et s’inscrit dans un accord de libre échange ; article XXIV du GATT.

Or, le régime commercial de Lomé entraînait une discrimination entre les pays en développement et PMA ACP et les autres non ACP. En outre, comme cela a été montré, il n’était pas fondé sur des préférences réciproques. Il n’était donc pas compatible avec les règles de l’OMC.

Les concurrents des ACP, principalement des pays latino-américains sur le dossier de la banane, menaient la bataille devant l’OMC (l’organe de règlement des différends). Il fallait donc, pour l’UE, trouver une solution.

 

Les changements majeurs introduits par Cotonou et les APE

Les raisons développées précédemment ont conduit à l’Accord de Cotonou qui a succédé en juin 2000 aux Conventions de Lomé qui organisaient la coopération entre l’UE et les 77 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

L’Accord de Cotonou, d’une durée de 20 ans, annonçait clairement la fin du système préférentiel unilatéral: « L'accord de Cotonou prévoit que toutes les préférences tarifaires non réciproques appliquées en faveur des pays A.C.P. seront maintenues jusqu'au 31 décembre 2007. Elles seront normalement remplacées, à dater de 2008, par une série d'accords de partenariat économique issus de négociations dont le démarrage est prévu en septembre 2002. Ces accords de libre échange seront compatibles avec les règles de l'OMC. En d'autres termes, ils couvriront essentiellement tous les échanges et seront mis en œuvre dans un délai de dix à douze ans ». Révisé en 2005 et en 2010, l’Accord de Cotonou devrait expirer le 29 février 2020.

L’option retenue était donc de négocier des accords de partenariat économique (APE) qui visent à créer, à terme, des zones de libre échange entre chaque sous-région ACP et l’Union européenne, pour rendre « compatible le régime commercial avec les règles de l’OMC ».

C’est donc dans ce nouveau cadre que l’Afrique de l’Ouest s’est engagée dans la préparation et la négociation d’un Accord de partenariat économique avec l’Union européenne. Cet APE constitue le volet commercial de l’Accord de Cotonou.

Les négociations se sont organisées au niveau de chaque sous-région. Pour l’Afrique de l’Ouest la négociation a été lancée, en octobre 2003, sur la base d’un mandat des Chefs d’États de la région et d’une feuille de route adoptée conjointement par la Commission européenne (CE) et l’Afrique de l’Ouest (AO) en août 2004. Cette négociation devait théoriquement  s’achever fin 2007, en vue d’une mise en application de l’accord à partir du 1er janvier 2008 et pour une période 12 ans jusqu’en 2020 mais ces délais n’ont pas pu être respectés.

 

L’APE, compatible avec les principes du multilatéralisme et du libre-échange, était censé maintenir le niveau des préférences tarifaires accordées par la convention de Lomé tout en privilégiant l’intégration régionale comme un tremplin pour l’intégration des pays ACP dans l’économie mondiale.

Dans ce nouveau scénario, l’Europe propose d’ouvrir son marché à 100 % (contre 97 % actuellement) ; en contrepartie, elle demande aux pays ACP de libéraliser au moins 80 % de leur marché au bout d’une période de transition de 12 ans. La marge des 20% restant étant censée couvrir les produits ACP jugés sensibles, ce qui permettra aux partenaires ACP de sauvegarder une partie de leurs recettes fiscales et d’avoir une certaine marge de manœuvre pour protéger leurs systèmes productifs locaux.

Aujourd’hui, seuls la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Cameroun (Afrique centrale), compte tenu de la structure de leur commerce extérieur, ont signé des APE intérimaires dit accords « d’étape » pour sauvegarder la compétitivité de leurs principaux produits d’exportations vers l’UE (café, cacao, bananes, ananas, mangues, etc.), et ce avec des taux d’ouverture de leur marché de 80% en moyenne.

A la lumière de tout ce qui vient être dit, on pourrait se poser la question : pourquoi les pays ACP, et tout particulièrement, les pays ouest africains n’ont su tirer profit de l’ouverture généreuse du marché de l’Union Européenne ? La réponse est pourtant toute simple : à cause des barrières non tarifaires !

Parmi les barrières non tarifaires les plus couramment utilisées, nous pouvons cité : les mesures techniques telles les Obstacles Techniques au Commerce (OTC) et les réglementations sanitaires et phytosanitaires (SPS) ; la réglementation et les formalités douanières ; les restrictions d’accès aux marchés liées à la concurrence (obstacles à l’entrée) ; les licences d’importations ; les subventions ; les instruments de protection commerciale (droits antidumping, droits compensateurs et sauvegardes), etc.

D’ailleurs, ces pratiques commencent à devenir de véritables contraintes compte tenu de l’exigence des consommateurs européens face aux risques sanitaires et environnementaux. Les mesures normatives introduites par les pays importateurs pénalisent considérablement les exportations de l’Afrique de l’Ouest qui doivent ainsi intégrer des coûts supplémentaires.

Une étude du Centre du Commerce Internationale (CCI) a montré, il y a plusieurs années, que  la moitié des produits exportés par la Mauritanie est considérée, par au moins un pays dans le monde, comme soulevant des problèmes de santé humaine ou relatifs à la vie sauvage.

Les normes relatives à la santé animale et la sécurité humaine touchent près du 1/3 des 100 principaux produits exportés par la Mauritanie. Parmi les 20 produits les plus exportés par la Mauritanie, les plus affectés sont les produits halieutiques, poulpes ou pieuvres ; poissons d’eau douce et de mer, comestibles, congelés ; maquereaux congelés ; crevettes, etc.

Il est donc évident que les pays de cette région de l’Afrique doivent être très attentifs aux changements qui pourraient toucher de près ou de loin leur environnement économique sous régional et régional pour pouvoir bénéficier des avantages de la mondialisation, ce qui passe nécessairement par la mise en place d’infrastructures dans les domaines de la Normalisation, de la Métrologie, des Essais et de la Qualité.

 

Quelles alternatives aux APE ?

De prime abord, il est important de préciser ici que l’Accord de Cotonou n’oblige pas la signature des APE dans la mesure où il stipule de façon très explicite que « les accords de partenariat économique se tiendront avec les Etats ACP qui se considèrent prêts à les réaliser ». Aujourd’hui, dans le cas où un pays ACP ne voudrait pas de la mise en place d’une zone de libre échange, c’est le système des préférences généralisées (SPG) de l’UE qui devrait lui être appliqué.

Le Système de préférences généralisées (SPG) accordé par l’Union européenne aux pays en développement prévoit depuis sa réforme en janvier 2014 : un SPG « standard »; un régime spécial d’encouragement en faveur du développement durable et de la bonne gouvernance (SPG+) et un régime spécial en faveur des PMA, Tout Sauf les Armes (TSA).

Le SPG « standard » prévoit une réduction des droits de douane pour environ 66% des lignes tarifaires au profit des pays en développement jugés vulnérables et à revenu faible ou intermédiaire de la dernière tranche.

Le régime spécial (SPG +), prévoit une suspension des droits de douane pour la presque totalité des produits, qu’ils soient sensibles ou non. Il est accessible à une liste de pays définie, et sous condition de ratification et de mise en œuvre de 27 conventions internationales portant sur les droits de l’homme, les droits des travailleurs, l’environnement et les principes de bonne gouvernance.

Ainsi, en faisant l'hypothèse qu'aucune modification majeure ne sera apportée aux régimes commerciaux existants, le SPG est l'alternative à laquelle les pays ACP peuvent se référer en considérant l'éventualité de ne pas signer un APE. A noter que la durée de ces deux régimes SPG est de 10 ans.

Quant aux Pays les Moins Avancés (PMA) au nombre de 49, ils continueront de profiter (pour une durée illimitée), dans le cadre de la décision unilatérale « Tout sauf les armes »  (TSA) de mars 2001 de l’Union européenne, de l’accès au marché européen à droit nul et sans quota pour l’ensemble de leurs exportations, hormis les armes, sans qu’ils ne soient en retour obligés de réduire leurs droits de douane sur leurs importations en provenance de l’Europe.

La Mauritanie qui est un PMA négocie l’APE avec le groupe CEDEAO qui compte 11 PMA plus le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Cap Vert qui sont des pays à revenu intermédiaire. Se sont eux qui figurent parmi les principaux exportateurs vers l’UE : ils assurent 82 % des exportations (81 % pour les produits agricoles et alimentaires) et 62 % des importations (48 % pour les produits agricoles et alimentaires).

Ainsi donc, ces pays à revenu intermédiaire du bloc CEDEAO ont par conséquent un intérêt supérieur à intégrer un APE de façon à conserver l’accès le plus large possible au marché européen. En revanche, la majorité des pays non PMA ne sont pas tenus d’intégrer un APE pour conserver cet accès, en particulier parce qu’ils sont éligibles à l’initiative TSA.

L’APE permettra tout au plus aux PMA de mieux formaliser les engagements des européens contrairement à l’initiative TSA qui est unilatérale. Cependant, dans le cas de la TSA, les règles d’origine sont très strictes, empêchant une partie des exportations des PMA d’accéder aux préférences commerciales de ce régime. Enfin, l’Union Européenne s’est dotée d’une clause de sauvegarde spéciale, lui permettant de mettre fin aux préférences lorsque le niveau d’importation en provenance des PMA dépasse les niveaux « habituels ».

Pour toutes ces raisons, et sachant que l’Accord de Partenariat Economique est significatif d’efforts de libéralisation supplémentaire, ce que n’exige pas l’initiative TSA, les membres PMA de la CEDEAO plus la Mauritanie ne devraient-ils pas jouer pleinement cette carte de la TSA…en tout cas dans le moyen terme ? Voilà, à mon sens,  une question qui mérite d’être affinée par nos décideurs politiques avant le rendez-vous de la Papouasie, le 30 mai 2016 !

 

Mohamed Ahmed EL KORY

Economiste

Expert en Propriété Intellectuelle

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