Dr. Kleib Ahmed Salem, neurochirurgien : "L’oxygène médical doit être considéré trop sérieux pour être confié à des fournisseurs privés" | Mauriweb

Dr. Kleib Ahmed Salem, neurochirurgien : "L’oxygène médical doit être considéré trop sérieux pour être confié à des fournisseurs privés"

jeu, 24/12/2020 - 10:58

Le Calame : La question de l’oxygène médical suscite un vif débat sur les réseaux sociaux et dans la presse. Certains n’hésitent plus à parler de scandale. Est-ce à dire que nos hôpitaux manquent d’oxygène en cette période de 2e vague de la COVID ?

Dr. Kleib Ahmed Salem : Comme l'oxygène est un médicament, il doit être prescrit par un médecin et contrôlé régulièrement, par le fournisseur, un établissement indépendant et un pharmacien en ce qui concerne sa qualité, sa contraction et sa pureté. L’oxygène doit être installé et isolé à l’écart de l’établissement de santé pour des raisons de sécurité car c’est un produit hautement inflammable.

La Mauritanie, via un fournisseur d’oxygène privé national, a acheté onze centrales de production d’oxygène du constructeur portugais Ultra Controlo (https://fr.ultracontrolo.com/) en 2019.

Ces centrales sont d’une bonne qualité et fournissent un bon oxygène uniquement via le mur au malade alité (oxygène mural). Mais aucune d’elles n’a la capacité de remplir une bouteille d’oxygène. Alors qu’il suffisait de rajouter un compresseur à une ou deux de ces centrales pour avoir une autonomie en oxygène médical produit sur site donc de qualité. Pourtant le constructeur UltraControlo fabrique des compresseurs compatibles de type Ultraceco HP En période pandémie Covid-19, la consommation en oxygène est supérieure à la capacité de production de nos centrale, ce qui entraine parfois l’arrêt des centrales et une baisse de pression.

Car ces centrales ont été achetées pour des centres de santé moyens et destinées à un usage estimé à 6 litres par minutes pour un patient. Alors que les malades en unité COVID en ventilation non invasive (VNI) peuvent parfois avoir besoin d’un débit de 15à 20 litres par minutes voire plus. C’est en ce moment que la pression des centrales baisse, ce qui impose l’usage des bouteilles d’oxygène que l’on achète chez le fournisseur privé qui nous a vendu les centrales d’oxygène.

Ça doit vous rappeler la métaphore du monsieur qui vous vend une vache et vous impose de ne boire le lait qu’en la tétant. Pendant que lui il peut grâce à sa vache à lui vous vendre du lait en paquet, en récipient ou en sachet. Savez-vous que toutes les bouteilles d'oxygène médical en circulation et en usage médical sur tout le territoire national proviennent d'un ou deux fournisseurs privés qui profitent de ce juteux marché depuis l'indépendance de la Mauritanie à ce jour.

Le marché de l’oxygène médical en bouteille et un marché très opaque et incontrôlable sur la base des factures.

Les hôpitaux nationaux disposent-ils tous de centrale d’oxygène sinon, d’où s’approvisionnent-ils en oxygène médical ?

Tout le nord du pays ne va pas bénéficier de centrale d’oxygène cette fois-ci si l’on se réfère à la déclaration récente du ministère de la Santé, allez savoir pourquoi. Les deux centrales initialement destinées à Nouadhibou, selon « des sources liées au dossier », ont été déroutées et installées à Nouakchott au Centre HME dont la centrale inaugurée en 2012 vient de rendre l’âme et à l’INHV où la première vraie réanimation Covid a démarré.

Tout le nord (sauf la clinique de la Snim de Nouadhibou) s’approvisionne en oxygène médical chez des fournisseurs privés. Ce qui peut poser un problème d’approvisionnement, un problème de sécurité lors du transport.

Enfin sachez que l’oxygène médical doit être considéré trop sérieux pour être confié à des fournisseurs d’où l’intérêt de mettre en place une société nationale de production d’oxygène médical avec l’une des deux centrale restantes sur le site de l’ancien centre de cardiologie. Il suffit d’acheter deux compresseurs adaptés type Compresseur Ultraceco HP pour avoir un contrôle médical sur ce médicament qu’est l’oxygène.

Face à la forte recrudescence des contaminations et des morts, on a comme l’impression que le gouvernement ne s’était pas bien préparé à une 2e vague. Partagez-vous ce sentiment ?

Effectivement, il y a eu un relâchement. Les populations avaient comme indicateur du danger le couvre-feu et, une fois levé, elles se sont relâchées complètement, en témoignent le rassemblement du 30 octobre 2020 à l’ancien aéroport de Nouakchott où une dizaine de milliers de personnes se sont rassemblées sans mesures de sécurité, la commémoration en fanfare de la fête de l’indépendance et d’autres regroupements, devenus de véritables clusters, et ce malgré les signaux alarmants en provenance des pays voisins.

Face à la situation de la pandémie, le gouvernement a exprimé ses dispositions à acquérir des vaccins. Est-ce une priorité aujourd’hui ? Sinon, de quoi avons-nous besoin pour enrayer la spirale des contaminations ?

L’Europe et certains pays et d'Afrique ont annoncé ouvrir leurs portes au vaccin contre le covid-19 et optent pour les vaccins de Pfizer et de BioNtech. Devant une pandémie, trouver un vaccin efficace et sûr est une aubaine. Je laisserai le soin au ministère de la Santé de choisir le vaccin qui convient à notre budget et à notre environnement climatique. Cependant la priorité est aux travailleurs de la santé, aux personnes âgées et aux patients à risque.

Propos recueillis par Dalay Lam