Penser localement pour un développement mieux adapté –Zara Kayani | Mauriweb

Penser localement pour un développement mieux adapté –Zara Kayani

mar, 19/03/2019 - 17:45

ISLAMABAD – En octobre 2018, les chaînes de nouvelles télévisuelles pakistanaises ont rapporté comment les autorités locales de Pishin, un district de la province du Balouchistan, étaient en train de construire un petit barrage pour contrer les sécheresses fréquentes dans la région. Au lieu d’accepter le projet public de construire le barrage à un coût de 10 millions de PKR (63 000 ), la collectivité a décidé de construire son propre projet pour une somme plus modeste de 2,1 millions de PKR dans le cadre du programme de développement rural financé par l’Union européenne.

Cette stratégie de développement auto suffisante a également donné des résultats ailleurs au Pakistan. Le taux d’alphabétisation du district Hunza dans l’extrémité nord du pays est de 95 % -le taux le plus élevé au Pakistan - grâce aux excellents établissements scolaires administrés par la collectivité, qui dépassent en nombre les écoles publiques nationales où l’enseignement y est de moindre qualité. La collectivité s’est également mise à émuler le projet pilote Orangi en périphérie de Karachi en finançant 70 % des coûts totaux de construction d’un réseau d’égouts avec l’assistance technique d’une ONG.

Ces exemples ne sont pas isolés. Déçues par des services publics inexistants ou de piètres qualités, des collectivités dans tout le Pakistan jouent un plus grand rôle dans les projets de développement. Une telle mobilisation généralisée de la collectivité pourrait alléger le fardeau sur les finances publiques et permettre au pays de se développer selon un mode plus participatif et plus durable.

L’idée que les collectivités jouent un très grand rôle dans les initiatives de développement n’est pas nouvelle. Ainsi, en 1993, le Sommet de l’éducation pour tous organisé par l’UNESCO à New Delhi en Inde mettait déjà l’accent sur le fait que l’éducation est la responsabilité des familles, des collectivités et des ONG, au même titre que l’État. Mais il y a eu depuis une évolution dans la pensée au cours des trois dernières décennies sur la façon dont les collectivités peuvent jouer un rôle plus efficace.

Dans les années 1980 et 1990, les collectivités adoptaient une conception ascendante à l’égard du développement et ont ainsi pris leur distance avec les initiatives dirigées par l’État. Or, cette stratégie n’a pas donné les résultats escomptés, en raison de frictions politiques et de problèmes de mise à l’échelle de telles initiatives. À l’inverse, un consensus de plus en plus large se dégage que les collectivités sont plus efficaces lorsqu’elles coordonnent leurs initiatives avec des représentants efficaces de l’État, des ONG et du secteur privé.

Dans un rapport de la Banque mondiale de 2013, Ghazala Mansuri et Vijayendra Rao ont souligné le problème de l’échec de la société civile en l’absence d’« infrastructures coopératives » fondées sur des institutions étatiques fonctionnelles. Dans cette même optique, Bishwapriya Sanyal du MIT avançait déjà que le « développement nécessitait une synergie entre les interventions des échelons supérieurs et inférieurs, une initiative collaborative entre l’État, les établissements privés et les ONG qui exploite les avantages comparatifs de chaque type d’intervenant et qui minimise leurs déficiences relatives ». Une étude réalisée en 2004 par Asim Ijaz Khwaja de l’Université Harvard a d’ailleurs conclu que la mobilisation des collectivités a considérablement amélioré le maintien des projets d’infrastructures pour autant que leur participation se limitait aux aspects non techniques.

Une démarche collaborative devrait aider les collectivités à se sentir moins seules dans leurs projets de développement. À cet effet, les économistes nobélisés Amartya Sen et Elinor Ostrom mentionnaient le développement du « capital social » permettant à une collectivité de prendre l’initiative au cas où le financement ou d’autres formes d’assistance institutionnelle viendraient à manquer.

Une autre initiative en matière d’éducation au Pakistan, l’initiative STRIDE, est un autre exemple des façons dont les collectivités peuvent jouer un rôle positif dans le développement. L’initiative financée à l’origine par le ministère du Développement international du Royaume-Uni est maintenant prise en charge par les autorités provinciales du Punjab et du Khyber Pakhtunkhwa et élargie à plus de districts. Elle vise à améliorer les perspectives des élèves pour qu’ils poursuivent leurs études aux niveaux supérieurs d’enseignement.

L’initiative met en place des classes qui se déroulent l’après-midi et assure le service de transport des élèves qui vivent éloignés de l’école. Essentiellement, elle cherche à sensibiliser les collectivités aux problèmes de maintien de la fréquentation scolaire et du passage aux cycles supérieurs d’enseignement et les encourage à contribuer à des solutions durables.

Ces initiatives semblent porter ses fruits. Dans l’Union des conseils Pirhar du district Muzaffargarh, la collectivité a octroyé 48 000 PKR pour couvrir les frais de transport des élèves fréquentant une école STRIDE à proximité et le président de l’Union des conseils a personnellement donné des pousse-pousse à des membres de sa famille moins en moyen afin qu’ils puissent gagner leur vie en transportant des élèves STRIDE.

Une autre école STRIDE, sise dans le district Swabi, avait des problèmes de rétention des enseignantes donnant leur classe l’après-midi, du fait des longs déplacements en terrain montagneux, jumelé à la désapprobation sociale subie par les enseignantes revenant à la maison tard dans la soirée. Pour résoudre ce problème, le coordonnateur de district de STRIDE, après avoir consulté les citoyens de la collectivité, a persuadé le ministère de l’Éducation de construire des salles supplémentaires dans l’établissement scolaire pour héberger les enseignantes.

Les mentalités conservatrices dans la plupart des régions du Pakistan peuvent parfois empêcher les femmes et les jeunes filles de se rendre dans une école éloignée. Donc en prenant en compte des sensibilités des citoyens, l’initiative STRIDE a permis aux jeunes filles de poursuivre leurs études sans provoquer de tollé.

Le débat sur le développement au Pakistan a considérablement évolué ces 30 dernières années, et les collectivités y jouent un rôle de plus en plus important. Leur participation devrait être bienvenue et encouragée ; en fait, elle est essentielle pour assurer l’acceptabilité et la pérennité des initiatives de développement.

 

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier

Zara Kayani est chercheur universitaire à l’Institut de sciences sociales et politiques (I-SAPS) à Islamabad au Pakistan.

Copyright: Project Syndicate, 2019.
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