La réduction de la pauvreté dépend du commerce- Par Caroline Freund and Robert Koopman | Mauriweb

La réduction de la pauvreté dépend du commerce- Par Caroline Freund and Robert Koopman

mar, 05/03/2019 - 12:30

WASHINGTON, DC – Au moment même où les efforts de réduction de la pauvreté dans le monde marquent le pas, de récentes prévisions de la Banque mondiale montrent que l’économie mondiale entre dans une période d’incertitude croissante. Les mesures destinées à favoriser la croissance et les possibilités de développement économiques sont d’autant plus urgentes et la revitalisation du commerce doit à cette fin être placée en tête de l’ordre du jour politique. Il a clairement été établi qu’en tant que moteur de la croissance économique et outil de réduction de la pauvreté, le commerce a fait ses preuves.

Dans le contexte des tensions commerciales actuelles, il est facile de perdre de vue les progrès accomplis au cours des dernières décennies d’intégration économique. Depuis 1990, plus d’un milliard de personnes ont échappé à la pauvreté grâce à une croissance soutenue par l’essor du commerce. Et aujourd’hui, les échanges de biens et de services et l’approfondissement des liens économiques progressent plus rapidement que pendant les décennies passées. Il existe à l’heure actuelle plus de 280 accords commerciaux en vigueur dans le monde, contre 50 seulement dans les années 1990. À cette époque, la part du commerce international dans le PIB mondial s’établissait à 38 pour cent ; en 2017, elle avait atteint 71 pour cent.

Le commerce ouvert s’avère en particulier avantageux pour les pauvres, parce qu’il abaisse le coût de ce qu’ils achètent et augmente le prix de ce qu’ils vendent. Comme le démontrent de nouvelles recherches de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les revenus des agriculteurs et des travailleurs du secteur manufacturier progressent lorsque leurs produits sont vendus sur les marchés étrangers.

Le Vietnam a par exemple réalisé une série de réformes économiques et commerciales dans les années 1980 et 1990 qui ont transformé le pays en un important exportateur mondial, avec pour corollaire une forte baisse de la pauvreté. Les exportations du Vietnam représentent aujourd’hui 30 pour cent de l’emploi dans le secteur des entreprises et son ratio commerce extérieur sur PIB – un indicateur clé d’une économie ouverte – avoisine 200 pour cent, le plus élevé des pays à revenu intermédiaire.

De même, une différente étude sur le secteur manufacturier de 47 pays africains montre que les salariés d’entreprises tournées vers l’export gagnent 16 pour cent de plus que ceux des entreprises qui n’exportent pas, avec des rémunérations similaires des hommes et des femmes dans le premier cas, et des salaires plus élevés pour les hommes que les femmes dans le deuxième cas.

Ces données soulignent les avantages du commerce ouvert. Les pauvres ne bénéficient cependant pas automatiquement des échanges commerciaux. En fait, nos recherches font ressortir plusieurs obstacles de taille. Certains groupes de travailleurs pourront par exemple voir une baisse de revenu liée à la concurrence posée par une augmentation des importations. D’autres seront confrontés à des entraves « appliquées après la frontière » – dont la concurrence restreinte au plan des transports et de la distribution, des infrastructures défaillantes ou le manque d’informations concernant les nouvelles opportunités – qui peuvent annuler les avantages du commerce.

Enfin, nos recherches montrent que le commerce peut avoir des incidences variables sur les pauvres, en fonction de circonstances spécifiques telles que l’accès aux infrastructures d’appui au commerce, le genre, ou le fait de vivre dans une zone urbaine ou rurale. Ces dynamiques sont clairement perceptibles en Inde par exemple, où les biens produits dans les centres ruraux sont soumis à un taux tarifaire 11 pour cent plus élevé sur les marchés internationaux que les biens produits dans les centres urbains.

De même, à la frontière entre le Laos et le Cambodge, les femmes paient des taxes plus élevées aux fonctionnaires des douanes et leurs produits ont plus de risque d’être placés en quarantaine que ceux échangés par les hommes. En Ouganda, où 70 pour cent de la population est employée dans le secteur de l’agriculture, le coût élevé et la piètre qualité des transports empêchent la plupart des producteurs d’accéder aux marchés étrangers.

En adoptant des réformes commerciales appropriées, les gouvernements peuvent alléger ces contraintes tout en abaissant les coûts des transactions, en promouvant la concurrence et en établissant des règles claires pour le commerce transfrontalier.  Nous savons que le commerce ouvert peut stimuler le développement. Mais il n’est pas suffisant de compter passivement sur les exportations pour doper la croissance économique et réduire la pauvreté. Nous devons appeler avec plus d’opiniâtreté à la mise en œuvre de réformes qui abaissent les tarifs douaniers et suppriment les mesures réglementaires avec effet de distorsion des échanges. Il est également nécessaire d’en faire davantage pour faciliter les investissements dans les infrastructures essentielles, dont les réseaux routiers, les routes maritimes et les systèmes de commerce électronique qui relient les personnes et les marchés.

Malheureusement, de récentes prévisions de l’OMC montrent que la croissance du commerce mondial tend à ralentir, affaiblissant les perspectives d’une croissance économique et d’une réduction de la pauvreté plus rapides. Nous devons nous attaquer de toute urgence aux causes des tensions commerciales mondiales, renforcer le système commercial international réglementé et aller de l’avant dans la libéralisation du commerce. L’expérience a montré que ces mesures sont les plus adaptées pour soutenir une croissance économique durable et inclusive, pour créer de nouvelles occasions et nous rapprocher de l’objectif commun de mettre enfin un terme à l’extrême pauvreté.

 

Caroline Freund est directrice du pôle Commerce, Intégration régionale et climat de l’investissement de la Banque mondiale et l’auteur de Rich People Poor Countries: The Rise of Emerging Market Tycoons and their Mega Firms (Les riches et les pays pauvres : Le pouvoir croissant des magnats des pays émergents et leurs méga-entreprises – ndlt). Robert Koopman est économiste en chef et directeur de la division Recherches et statistiques économiques de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

 

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