ANALYSE - Le Franc CFA, la bouée de sauvetage de la France en Afrique | Mauriweb

ANALYSE - Le Franc CFA, la bouée de sauvetage de la France en Afrique

ven, 08/02/2019 - 09:00

14 pays africains utilisent le Franc CFA : la Guinée Equatoriale, la Guinée Bissau, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Tchad, le Gabon, le Cameroun, le Congo et la République Centrafricaine.

Les puissances coloniales, après avoir annoncé au milieu du 20ème siècle leur retrait de toutes les colonies qu’elles occupaient, ont cherché les moyens de « rester » sur ces terres encore longtemps.

C’est ainsi que la France, qui colonisait une territoire d’une surface totale de 12 millions de km2, soit près de 20 fois son propre territoire, a décidé de mettre en place le « Franc CFA » (Franc des colonies françaises d’Afrique).

Le décret de création du Franc CFA (F CFA) a été signé le 25 décembre 1945 par Charles de Gaulles, et publié le lendemain.

Le Franc français (FF), utilisé dans la métropole, ne pouvant être utilisée dans les colonies, il fallait trouver un moyen d’empêcher l’éloignement des colonies vis-à-vis de Paris. En réalité, le projet avait été lancé en 1939 mais l’éclatement de la guerre l’a repoussé.

Avec la conférence de Berlin de 1885, les terres envahies et colonisées par la France, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et la Belgique, ont été reconnues comme leur appartenant, sans même que les colonisés n’en soient préalablement informés.

Les pays colonisateurs ont rapidement envahi ces territoires, majoritairement en Afrique, face à des populations qui dans leur histoire n’ont jamais combattu un pays étranger.

Avec des politiques et mesures assez proches les unes des autres, les puissances coloniales ont nettement marqué de leur empreinte le 20ème siècle.

Grâce à un système éducatif particulier, ils ont largement développé l’apprentissage et l’usage de leur langue sur le continent africain et ont su former des « élites » qui leurs seraient fidèles.

La France, tout particulièrement, a appelé ce processus « conquête morale ».

Le temps passait très vite, et contrairement aux messages de droits de l’homme, de démocratie et de république, leurs actions et politiques en Afrique et sur les autres continents colonisés, étaient à l’opposé. Ces pays (colonialistes) s’assuraient ainsi une grande rente financière sur le dos des pays colonisés. Le Franc CFA a, dans ce sens, été l’exemple le plus douloureux.

Avec cette monnaie coloniale, la France a, en 74 ans d’application, quasiment « déverser le sang qui coulait dans les veines de ces pays dans les dépôts du Trésor à Paris ».

Au début de l’année 1946, alors que le Franc Français était assez faible, le Franc CFA valait 1,70 FF. Après la dévaluation de 1948, il valait 2 FF. Mais dans les années qui ont suivi, cette équilibre a disparu, et il ne valait plus que 0,02 FF en 1960, et 0,01 FF en 1994.

Avec l’adoption de l’Euro en Europe en 1999, le Franc CFA est passé à un cour fixe : 1 € = 655,957 F CFA.

Avec l’effondrement du bloc soviétique au début des années 90, la pression sur les anciennes colonies s’est réduite, et le développement de ces pays a pris un rythme élevé. Tout le continent africain a connu en moyenne une croissance de 10%. L’Euro a été le principal obstacle à ce développement et le F CFA en est devenu tributaire.

Son taux élevé a rendu les exportations très difficiles alors que les importations ont explosé. Certains pays ne croissaient pratiquement plus.

Le Franc CFA n’était utilisé que dans 14 pays mais son poids et son influence se faisaient ressentir sur tout le continent. Presque tous les pays africains ont un pays voisin qui utilise le F CFA. Mais quand il traverse la frontière, cette monnaie n’est rien de plus qu’un banal morceau de papier.

Le prix de l’opposition au Franc CFA :

Les hommes d’état français détestent évoquer ce sujet, et quand ils sont interrogés tout de même, ils évitent de répondre et détournent aisément la question.

Les déclarations sur le CFA de leaders de deux partis politiques italiens, tous deux vice-premier ministres, datant du 20 janvier et des jours qui ont suivis, ont clairement tendus les relations entre les deux pays. Selon ces politiciens italiens, la crise migratoire rencontrée ces dernières années en Méditerranée, est le résultat de la politique monétaire française en Afrique, symbolisée par le F CFA. Les pays africains s’appauvrissent à cause de ce système, ne peuvent s’industrialiser et sont forcés de vendre à bas prix leurs richesses naturelles.

Ces propos ont poussé le président français Emmanuel Macron à réagir. Il a affirmé que son interlocuteur est le Premier ministre italien, et non ces vice-premier ministres.

Ce dernier a alors rappelé les liens forts entre la France et l’Italie, assurant que ces polémiques n’apporteront rien à la population italienne. Mais ceci n’a pas freiné les deux autres politiciens italiens qui ont à la TV brûlé un billet de 10 mille Francs CFA.

En Afrique, quand un dirigeant des pays concernés élève la voix contre la monnaie coloniale française, soit le pays se retrouve dans une guerre civile, soit il se retrouve en prison, accusé de corruption par exemple.

Mouammar Kadhafi, le leader libyen resté au pouvoir 42 ans, avait le projet ambitieux de créer une monnaie africaine équivalent à l’Euro et une Banque Africaine. C’est quand son projet, confié au président du FMI de l’époque Dominique Strauss-Kahn, arrivait à sa fin qu’il a été tué. Plusieurs pays se préparaient à appliquer le projet libyen.

La France, qui a compris qu’elle risquait de perdre sa plus grande richesse, a alors écarté Kadhafi puis Strauss-Kahn du projet.

La Côte d’Ivoire et le Mali, deux des pays les plus démocratiques d’Afrique à l’époque, ont sombré dans la guerre civile. Le bassin du Lac Tchad s’est retrouvé à combattre Boko Haram, ne pouvant s’occuper de rien d’autre, encore moins du Franc CFA.

Les Etats-Unis et l’Union Européenne ont suivi de près ces développements, et la Chine et la Russie, pour qui le contexte était favorable, ont laissé faire. Ils construisent ensemble un nouveau système qui exploitera les pays africains encore de longues années.

14 pays africains utilisent le Franc CFA : la Guinée Equatoriale, la Guinée Bissau, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Tchad, le Gabon, le Cameroun, le Congo et la République Centrafricaine.

En contrepartie, ces pays confient 50% de leurs réserves en devises au Trésor français. En 1960ce taux était supérieur à 80%, à 65% en 2012. Chaque année, des milliards d’Euros sont préservés en France avec un taux d’intérêt de 0,72%, ce qui offre à la France des gains considérables. Cette ressource facile est utilisée dans l’éducation, la santé ou encore la sécurité, mais aussi dans les opérations militaires françaises en Afrique. Les politiciens italiens affirment qu’une partie de la dette publique française est remboursée par ces revenus. Alors que ces mêmes pays africains doivent emprunter à des taux élevés, entre 3 et 7%, à la Banque Centrale d’Afrique de l’ouest et la Banque Centrale d’Afrique centrale, pour réaliser leurs projets, et même pour payer les salaires des fonctionnaires et des retraités.

Le Président du Tchad, Idris Deby, a prononcé en août 2015, un discours qualifié d’ultimatum contre le Franc CFA. Il a affirmé qu’une monnaie, quelle qu’elle soit, devait remplacer la monnaie sous le contrôle de la France, demandant à Paris de retirer ses mains de la monnaie en vigueur. Ce fut la plus importante contestation d’un leader de ces 14 pays jusqu’à présent. La Guinée Equatoriale, à l’instar des tentatives de la Guinée, de Madagascar et de la Mauritanie dans le passé, se prépare à introduire sa propre monnaie. De nombreux experts et économistes estiment que le Franc CFA doit disparaître à cause de ses conséquences sur les pays africains. La France, qui fait face à la forte contestation des Gilets Jaunes sur son territoire, ne pourra pas prendre à la légère les contestations africaines concernant le F CFA.

 

[Auteur d’écrits dans le domaine des relations Empire Ottoman-Afrique, le professeur et docteur, Ahmet Kavas, autrefois conseiller au cabinet du président et ambassadeur de la Turquie au Tchad, est actuellement doyen de le Faculté des sciences politiques de l'Université Medeniyet à Istanbul (Nord ouest). Il est également le directeur fondateur de l’Association des Chercheurs d’Afrique (AFAM)]

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