Racket (L'Edito du Calame) | Mauriweb

Racket (L'Edito du Calame)

mer, 29/08/2018 - 12:22

Dans sa guerre ouverte et désormais totale, contre Mohamed ould Bouamatou, Ould Abdel Aziz vient de franchir un nouveau palier d’une extrême gravité. En connivence avec le Parquet, le juge d’instruction chargé du fameux dossier RP 004, a ordonné la saisie des comptes en banque de l’homme d’affaires et de son adjoint Mohamed ould Debagh, pour les reverser dans un compte ouvert à cet effet à la Caisse de Dépôt et de Développement (CDD). Même du temps de Haïdalla, un régime d’exception connu pour le peu de cas qu’il faisait des droits de l’Homme, la saisie des biens de l’opposant et homme d’affaires Haba Ould Mohamed Vall, en 1982, ne se fit pas de manière aussi cavalière. Il fallut attendre un jugement de la Cour spéciale de justice, pour que le pouvoir militaire arrive à ses fins. En 2018, après plus de 27 ans de démocratie censée assurer la séparation des pouvoirs, l’exécutif, parce qu’il  a maille à partir avec un opposant, embrigade la justice pour ouvrir des dossiers vides, mettre aux arrêts, envoyer en prison, placer sous contrôle judiciaire, ordonner des perquisitions et, enfin, saisir des biens, alors qu’aucune juridiction ne s’est encore prononcée sur le fond.

Face à la levée de boucliers provoquée par cette décision (toute l’opposition et diverses ONG l’ont ouvertement condamnée), le Parquet a été obligé, pour une fois, de sortir de son mutisme. Maladroitement.  Dans un communiqué publié dans les organes de presse officiels, il justifie la décision prise dans le cadre du dossier RP 04/2017 – celui où sont impliqués Ould Ghadda, les sénateurs, les journalistes et les syndicalistes – par le fait que « les actes de saisie et de gel en question sont de nature conservatoire et prévus par l’article 29 de la loi 14/2016 relative à la lutte contre la corruption, et ne comportent nullement de confiscation, de la seule compétence des juridictions de jugement, et qui n’interviennent que sur décision judiciaire définitive qui a passé en force de chose jugée (sic) ». Ça ne s’invente pas. Le Parquet s’est apparemment emmêlé les procédures. Le gel et la saisie des avoirs auraient pu être ordonnés – et encore – dans le cadre de la procédure ouverte contre X, pour « blanchiment d’argent et fraude fiscale » (indépendamment du dossier RP 04), qui avait entrainé la perquisition des domiciles des deux hommes d’affaires en exil. Un X finalement pas si inconnu que ça. Résultat des coures : l’hôpital ophtalmologique de la Fondation éponyme est fermé, faute de moyens. L’argent destiné à son fonctionnement est entre les mains d’un État qui ne soigne pas ses propres citoyens et ne laisse plus les autres le faire. Tel le fameux beau-fils des autres, cher à l’imagerie populaire locale. Des milliers de pauvres qui venaient se faire consulter et opérer gratuitement n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Ils n’auront plus accès ni aux soins, ni aux médicaments, encore moins aux lunettes que l’hôpital mettait gracieusement à leur disposition. Mais, de cela, Ould Abdel Aziz n’a cure. Que tous les Mauritaniens ne mangent pas à leur faim ou deviennent aveugles, pourvu qu’il arrive, lui, à ses fins : dépouiller un opposant, sans autre forme de procès. Quand il a l’argent en ligne de mire, le reste importe peu. Qu’on dise que la loi n’a pas  été respectée et que la justice est aux ordres, que le pays soit condamné, par les instances internationales, pour détention arbitraire des opposants, violation de la vie privée, irrespect des procédures, tout cela ne le dérange pas outre mesure. Faudrait-il, cette fois, condamner la justice mauritanienne pour… racket au nom de l’État ?

Ahmed Ould Cheikh