ACP-Ue-Mauritanie: Le devoir de franchise! | Mauriweb

ACP-Ue-Mauritanie: Le devoir de franchise!

mer, 18/04/2018 - 09:38

Deux délégations de l’Union Européenne en Mauritanie. Si la première issue de la Commission Européenne s’est focalisée sur les relations commerciales dans le domaine des pêches où les deux parties partagent un accord de partenariat, la seconde prévue en avril, dans le cadre ACP-Ue, est, elle, éminemment politique.  

Depuis décembre 2017, lors d’une réunion de l’Assemblée paritaire ACP-Ue, tenue à Haiti, il a été décidé de dépêcher une mission d’information sur la situation dans notre pays suite aux nombreuses implications liées à l’organisation du référendum du 5 août 2017 ; la crise politique qui en a résulté et la violation en série des droits de l’Homme et des libertés publiques. La mission paritaire interviendra aussi dans un contexte marqué par le spectre de l’organisation de la future élection présidentielle. Loin du droit d’ingérence, il s’agira, sans nul doute, dans le cadre des engagements de l’accord de Cotonou, d’un de devoir de franchise loin de faux semblants qui s’apparentent parfois à fermer les yeux au nom des avantages commerciaux. Plus que jamais et malgré la tentative de supplanter l’Ue par la coopération financière chinoise, le poids sonnant et trébuchant de l’Ue la hisse en Mauritanie, avec des engagements de 195 Millions d’euros pour le 11ème FED, au premier rang des partenaires internationaux du pays. Une tendance confirmée par le volume des dons qui ont atteint 276 millions d’euros entre 2003 et 2013.

Mieux vaut voir une fois qu’entendre mille fois

La mission organisée avant la prochaine session de l’Assemblée Acp-Ue de juin 2018, vise officiellement à réunir les « informations de première main sur l’engagement continu pris par la Mauritanie de respecter nos principes communs en matière d’état de droit, de droits de l’homme, de libertés fondamentales, de non-discrimination raciale, de démocratie et de bonne gouvernance, séparation des pouvoirs comprise, ainsi que sur la pleine mise en œuvre de la feuille de route pour l’éradication de l’esclavage». Un vaste tableau de bord où les autorités mauritaniennes ne brillent pas forcément malgré le satisfecit reconnu en matière de lutte contre le terrorisme qui semble plus préoccupé «le monde libre».

Dans son agenda en Mauritanie, la mission ad hoc de l’Assemblée paritaire Acp-UE «rencontrera les autorités mauritaniennes, le parlement, les partis d’opposition, la société civile et des organisations non gouvernementales». Un large spectre d’acteurs pour se faire une idée proche de la réalité de la « situation du pays».

A cet effet, le Parlement Européen avait chargé «la délégation d’examiner les allégations relatives à la situation dans le pays, tant politique que du point de vue des droits de l’Homme, y compris en ce qui concerne le traitement des opposants politiques, des manifestants lors de la campagne référendaire et des défenseurs des droits de l’Homme, de vérifier si les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ne sont pas restreints et d’en rendre compte à l’Assemblée».

Le décor est donc planté. Pour corroborer tout ce qui se dit ou se trame actuellement en Mauritanie, la mission «invite les autorités mauritaniennes à accorder à la délégation un accès total et sans restriction à l’information»  et à toutes les parties susmentionnées; relève que la délégation sera établie conformément à l’article 28 du règlement de l’Assemblée.

Un contexte défavorable pour les autorités

Le moins que l’on puisse dire est que la mission ad hoc intervient dans un contexte difficile pour les autorités mauritaniennes aujourd’hui sur les bancs des accusés. Si le président Mohamed Abdelaziz semble avoir tranché abandonnant ses ambitions nourries par les appels des sirènes afin de briguer un troisième mandat anticonstitutionnel, la situation des droits de l’Homme et les libertés dans le pays a malheureusement connu un net recul lié aux questions pendantes sur la question de l’esclavage et des restrictions drastiques des libertés publiques. Et ce n’est pas certainement le communiqué laconique de la primature sur une réunion du dialogue politique ce 17 avril 2018 avec les ambassadeurs de l’Ue à Nouakchott qui éclaire sur les véritables sujets de discorde entre les deux parties.

Il est donc loin le temps où le pays se targuait de ne plus avoir de prisonnier politique. L’emprisonnement d’un sénateur, Mohamed Ould Ghadda, depuis plusieurs mois et alors qu’il exerçait encore son rôle d’élu, ainsi que le maintien dans un bagne des militants de Ira-Mauritanie sont sans doute les cas les plus frappants dans la violation du sacro-saint droit d’opinion et des règles établies pour gérer les rapports entre les belligérants politiques. Pour le sénateur Ould Ghadda tout est évidemment parti d’une opposition de l’intéressé aux réformes constitutionnelles rejetées d’ailleurs par ses pairs de la Haute Chambre, aujourd’hui dissoute. De la même manière, les militants d’Ira ont payé de leur liberté le droit de manifester contre la pratique de l’esclavage.

Dans l’un comme dans l’autre des cas, les humeurs des gouvernants ont pris le pas sur le discernement et le respect des droits constitutionnels des intéressés. Des restrictions, sans précédent -même du temps de Taya- ont également, dans la foulée, été ourdies, par le biais de la justice, pour maintenir des sénateurs, des journalistes et des syndicalistes, qui avaient en commun, la critique et le refus de telles réformes, sous une résidence surveillée à peine maquillée.  Une affaire donc bien plus politique que ne veulent le faire croire les autorités.

Dans tous les cas, ici le fait du prince a primé le droit et la légalité des agissements des pouvoirs publics soumis eux-mêmes à la pression d’une élection présidentielle qui pointe à l’horizon et où tous les scenarii pour une succession «sur mesure» du «Rais» ne donnent pas les assurances escomptées. Même la délégation et la délocalisation du pouvoir du gouvernement vers un super-parti, en l’occurrence l’Union pour la République (UPR), qui serait présidé par le président sortant, Mohamed Ould Abdelaziz, ne pourrait le prévenir, en cas de tentative de blocage de l’action du futur président, d’une dissolution comme on en a déjà vécu à d’autres occasions.  

Quant à la lutte contre l’esclavage. On semble faire un pas en avant et souvent deux en arrière.  En dépit de la condamnation récente qu’on espère fera école dans une affaire qui traine devant les tribunaux de Nouadhibou depuis des lustres, le véritable enjeu réside dans le sérieux de traitement des affaires de justice dans un cadre d’Etat de droit.  Le bilan mitigé de la lutte contre l’esclavage et le manque d’efficience des politiques de promotion économiques des couches haratines créent le sentiment d’un manque d’engagement efficient malgré les avancées notamment en matière de justice (promulgation de lois, mise en place de tribunaux  et quelques cas de condamnations). Mais cela évidemment ne suffit pas dans un pays largement soumis à la mauvaise gouvernance économique et où la paupérisation frappe d’abord de plein fouet les couches nécessiteuses du pays. Un pays où malheureusement, aucune politique de communication n’est entreprise pour mieux expliciter la situation. Face à la déconvenue communicationnelle, le pouvoir use et abuse encore de son autoritarisme pour donner encore plus de l’eau au moulin des critiques mais aussi aux ennemis du pays, tapis dans l’ombre et qui scrutent l’implosion sociale; s’ils ne l’appellent pas tout simplement de leurs vœux pour sévir. A ces questions lancinantes et avec la découverte récente d’un charnier non loin de « Choum » qui relance aussi la question de vérité sur les années de braise et de purges contre la communauté «Toucouleurs» dans le pays, la mission Acp-Ue devrait parler en toute franchise avec tous les acteurs afin que les solutions idoines puissent être trouvées et éviter au pays de tanguer encore vers l’inconnu.

Jedna DEIDA