Médias en panne de liberté : Que reste-t-il de la loi 045/2010 portant libéralisation de l’audiovisuel ? | Mauriweb

Médias en panne de liberté : Que reste-t-il de la loi 045/2010 portant libéralisation de l’audiovisuel ?

ven, 10/11/2017 - 10:55

Rien que des mires de barre ! Sur les cinq chaînes de TV mauritaniennes non étatiques, rien sauf cet implacable rideau qui nous oblige de nous rabattre, un peu malgré nous, sur les programmes souvent insipides  de la Mauritanienne qui a tendance à devenir une tribune exclusive pour les laudateurs et les flagorneurs  de tout acabit.

Depuis que la TDM a  sévi contre ces stations, rien à faire, acceptez de souffrir Khira Mauritanian TV ou essayez de zapper ailleurs.

Pourquoi en est-on arrivé là ? Est-ce que la TDM a raison de nous priver de ces chaînes ? Est-ce que ces dernières  ont failli à leur devoir envers la TDM et envers le téléspectateur ? 

En faisant la part des choses, on s’aperçoit que les stations privées n’ont pas tout à fait raison : elles n’ont pas payé les factures correspondant à leur montée sur le satellite et ont accumulé pas mal d’arriérés envers la télédiffusion. Parce qu’elles ont commencé par ne pas payer, ces chaînes naissantes ont cru pouvoir continuer à ne pas payer. Or, Dame TDM, proche de ses sous en cette conjoncture de dèche invasive, n’a plus rien voulu comprendre et a pris de solides attaches pour sonner la fin de la récréation. 

Avec ce nouveau développement, on peut se demander qu’est-ce qui reste de la loi 045/2010 portant sur la libéralisation de l’espace audiovisuel ? Cette loi censée bouleverser le paysage médiatique national n’a, en fin de compte,  nulle part été appliquée comme il se doit. A commencer par ses prescriptions concernant les entreprises publiques de l’audiovisuel :

Il n’y a, jusqu’ici, jamais eu de cahiers de charges ni de contrats Programmes qui sont deux outils essentiels prévus par les articles 47 à 50 de cette loi.

Les directeurs généraux de ces entreprises publiques devant être «théoriquement» nommés par les conseils d’administration sont parfois nommés directement par décret pris en conseil des ministres.

Les radios et les télévisions privées associatives attendent l’adoption de décrets qui tardent abusivement à venir.

Pareils manquements montrent que les lois votées et promulguées se font parfois tordre  même par l’Administration publique qui est censée être à cheval sur leur respect.

Mais ce qui inquiète le plus aujourd’hui, ce n’est pas que la suspension des émissions des chaînes privées commerciales qui n’ont d’ailleurs pas toujours respecté les normes de l’éthique et les règles minima de la profession. Non, ce qui inquiète, c’est le recul qui a frappé toute la presse dans le pays :

Les quotidiens, mis à part ceux du gouvernement ou ce qui en reste, ont cessé d’être quotidiens si tout simplement ils n’ont pas cessé de paraître.

Les sources de financement de la presse ont tari,

la publicité n’est plus accordée aux médias privés qui essayent de vivoter tant bien que mal dans un environnement des plus hostiles.

Les Associations de journalistes se portent très mal et font l’objet de multiples tiraillements qui les vident de leur substance, ce qui réduit considérablement leur marge de manœuvre, déjà insignifiante.

La profession de journaliste se perd ; elle devient un outil de débauche et sombre dans la bassesse. Ceux qui se  réclament indûment de cette profession deviennent immensément nombreux et désespérément dépourvus de valeurs morales, de  savoir et de savoir-faire. Aujourd’hui, chaque va-nu-pieds peut, du jour au lendemain, devenir ‘’journaliste’’ et vous présenter tous les documents attestant le viol qu’il commet à l’endroit du quatrième pouvoir.

Et, comble du malheur, ça,  tout le monde le sait mais chacun laisse faire comme si tous mettent un point d’honneur à décrédibiliser la profession et à jeter l’opprobre sur tous ceux qui sont en droit de s’en réclamer.  

Bien des journalistes, non contents de cette situation prévalant dans le secteur, ont  quitté le métier ou y sont restés tout en évitant d’intégrer cette grande masse de mauvais intervenants.  Il n’y a rien à faire, le métier s’enfonce et ne semble pas prêt à se relever de tous ces maux qui l’assaillent de toute part.

Aujourd’hui, le recul devient patent. Après s’être longtemps targué d’être à l’avant-garde du monde arabe en matière de liberté de la presse, voilà que la Mauritanie tape abusivement sur les doigts de journalistes et de blogueurs.  Ainsi, des journalistes ont été –pour rien–  placés, il y a plus de deux, sous contrôle judiciaire et leurs collègues, qui viennent leur témoigner de leur solidarité, sont dispersés manu militari par les services de police.  

Avec tous ces déboires, la liberté d’expression tombe visiblement en panne.                                 

Le summum de ces dysfonctionnements  a été atteint lorsqu’un blogueur, Abdallah Haïmer, a perdu son poste à l’Office national des services d’eau en milieu rural après avoir souligné, sur son compte Facebook, que le Premier ministre n’a pas daigné s’enquérir, à son passage,  sur la situation de passagers bloqués sur la route de l’Espoir, barrée, en l’un de ses tronçons, par un accident de la circulation.

En somme, la situation dans le monde des médias n’est guère reluisante. Et, là aussi, un tour de vis s’impose car si rien n’est fait, il ne restera, hélas, plus rien.

Ely Abdellah (in Le Calame)