L'enlèvement et la disparition du Sénateur Ould Ghadda est d'une gravité pénale extrême. Il vaut mieux le relâcher pendant qu'il est encore temps | Mauriweb

L'enlèvement et la disparition du Sénateur Ould Ghadda est d'une gravité pénale extrême. Il vaut mieux le relâcher pendant qu'il est encore temps

mar, 15/08/2017 - 09:16

Par le Professeur Lo Gourmo Abdoul

1. Qualification
Est qualifiée de disparition forcée en droit, toute situation lors de laquelle l'Etat ou un organisme qui lui est inféodé procède soit à la séquestration soit à l'élimination physique d'une personne -en dehors de toute procédure dûment définie par la loi. Cela suppose donc au préalable son enlèvement. Les hommes qui procèdent à une disparition forcée d'autrui agissent par contrainte (rapt) c'est à dire suivant une procédure "hors norme": agents civils armés, encagoulés, voitures sans plaques d'immatriculation, brutalité, heures très tardives d'intervention, absence de toute considération ou de respect pour la personne enlevée ou les siens etc. Il s'agit donc d'individus dont le comportement est en complète rupture avec les règles habituelles (juridiques, morales ou de simple courtoisie) qui doivent caractériser le comportement d'un agent public, même membre des services de renseignement.
Il y' a disparition de la personne dés qu'il est tenu hors de la vue de ses proches et/ou de ses représentants légaux et placé dans un endroit tenu secret, sur quelque portion du territoire que ce soit ou à l'étranger. L'absence d'indication précise et la non accessibilité du lieu est donc un élément déterminant pour la qualification de la disparition (que la personne soit morte ou vive).

2. Imputabilité
Le fait de disparition forcée est imputable à tous les individus qui, à un niveau quelconque de la chaîne de commandement et d'exécution ont participé à sa mise en œuvre. Il n'y a ni grand maître ni second couteau, ni donneur d'ordre ni simple exécutant. Car l'acte d'enlèvement et de disparition apparait comme un acte unique d'une pieuvre dont chaque membre participe à la réalisation de la félonie. Mieux encore. Le seul fait d'avoir été au courant de ce qui se tramait à l'encontre de la personne sans avoir rien fait pour s'opposer ou le dénoncer, avant, pendant ou après, expose gravement à l'incrimination de complicité ( active ou passive).

3. Gravité
L'unanimité est faite de par le monde pour qualifier la disparition forcée de crime contre l'humanité. Ce caractère universel apparait clairement à travers le statut de la Cour Pénale Internationale et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées du 20 décembre 2006. Ce caractère de crime absolu est vérifié dans l'article 1 $ 2 suivant lequel "Aucune circonstance exceptionnelle qu'elle soit ne peut être invoquée pour justifier la disparition". Ni la lutte "contre le terrorisme" ni " l'atteinte à la sûreté de l’Etat". Rien, wa khlass... On comprend que cette gravité a pu justifier la création aux Nations Unies d'un " COMITE DES DISPARITIONS FORCEES " pouvant recevoir des plaintes et agir en conséquence auprès du Secrétaire General des Nations unies, notamment à la demande des proches de personnes disparues.
Il faut ajouter qu'en tant que crime international XXL, non seulement la CPI est compétente mais aussi à titre de leur compétence universelle, de nombreuses juridictions nationales notamment européennes le sont aussi  pour poursuivre et juger les auteurs de ces crimes. Pour la CPI, il suffit de prouver l'existence d'indices concordants que les individus incriminés ont agi avec au moins la complicité ou la mauvaise volonté manifeste de l’Etat de protéger la victime, et que les tribunaux nationaux ne sont pas en mesure de juger avec l’indépendance nécessaire, pour que soit fondé le recours devant lui.

Conclusion:
Tous les éléments constitutifs du crime de disparition forcée sont ou se mettent en place dans l'affaire du Sénateur Ghadda. D'autant plus cruellement qu'il bénéficie non seulement de la protection dont peut se prévaloir tout être humain contre la cruauté d'un enlèvement (qui est en soi une vraie et terrible torture pour la victime et pour ses proches) mais aussi de l'immunité parlementaire qui interdit que lui soit portée la main dans l'exercice de ses fonctions.
La voie de la sagesse est de ne pas persister dans le crime lorsque ce dernier est avéré comme c’est malheureusement le cas dans cette triste affaire. Le devoir des démocrates et de tous ceux qui sont soucieux de vérité au service des droits humains et de la paix civile est de tout faire pour ne pas laisser se perpétuer une pratique que des centaines et des centaines de mauritaniens ont vécu dans leur chair avant Ould Ghadda et que vivifie seule la poursuite de l'impunité.