Mohamed Ould El Aabed, ancien MAED et vice-président du CDN, dans une interview exclusive : "La gabegie et la corruption ont connu, sous le régime actuel, des proportions jamais égalées" | Mauriweb

Mohamed Ould El Aabed, ancien MAED et vice-président du CDN, dans une interview exclusive : "La gabegie et la corruption ont connu, sous le régime actuel, des proportions jamais égalées"

ven, 20/01/2017 - 11:39

Le Calame - Voulez-vous nous dire pourquoi le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) a décidé d’organiser une série de conférences débats sur différents thèmes de la vie nationale ? 

Mohamed Ould Aabed : L’organisation de cette série de conférences-débats rentre dans le cadre des activités régulières du FNDU visant à permettre des échanges entre les cadres des différentes composantes du Forum sur les questions d’actualité et sur les sujets de fond qui ont trait à la situation du pays et à son avenir.

Ce n’est donc pas la première fois que le FNDU organise une telle manifestation, même si celle des 11 et 12 janvier courant a été assez innovante, eu égard à la diversité et à l’intérêt des thématiques abordées. 

A quoi peuvent servir ces palabres pour des populations qui tirent le diable par la queue ?

Ces palabres, comme vous les appelez, n’ont pas un effet bénéfique immédiat sur des populations qui souffrent de la crise multiforme que connaît le pays depuis le coup d’Etat de 2008 et qui s’intensifie de plus en plus en plus. Toutefois, elles permettent de mieux outiller les cadres des différentes composantes du FNDU pour mettre à nu, devant l’ensemble de nos concitoyens, l’incurie du régime qui prend le pays en otage depuis 2008 et pour montrer l’ampleur des risques que ce régime fait courir à la cohésion sociale du pays et à sa stabilité et l’étendue des dégâts économiques que sa gestion chaotique a occasionné.

Au sein du FNDU, nous croyons - à la différence de ceux de nos frères mauritaniens qui ont choisi, par peur ou par intérêt, de soutenir le régime – que notre peuple mérite qu’on lui dise la vérité sur la nature du régime en place et mérite que ses fils se mobilisent pour mettre terme à ce régime et le remplacer par un régime réellement respectueux des principes de l’Etat de droit et de la démocratie pluraliste et au service du citoyen mauritanien.

Notre conviction est que plus nous éclairions nos compatriotes sur la situation réelle du pays et sur les mensonges éhontés du régime et de ses laudateurs - qui présentent les échecs patents comme des réussites grandioses -, plus vite la fin de ce régime sera inéluctable.

Parmi les thèmes abordés figure la lutte contre la gabegie. En arrivant au pouvoir, Aziz a promis d’éradiquer la gabegie-corruption. Il s’est proclamé « président des pauvres » et la croisade qu’il mène depuis 2008 aurait permis, selon lui et ses soutiens de préserver les ressources du pays, de recouvrer les montants dilapidés. Mieux, il a mis en place une cour de répression de la corruption. Trouvez-vous ce bilan positif ? La gabegie a-t-elle pour autant reculé ?

Allez demander aux mauritaniens qu’est-ce qu’ils pensent de la lutte contre la gabegie et la corruption sous l’actuel régime ! Ils vous répondront tous que si les slogans de « lutte contre la gabegie » et de « président des pauvres » ont trompé certains, de bonne foi, durant les premiers jours du régime de Ould Abdel Aziz, ils se sont vite avérés n’être que de la propagande populiste démentie quotidiennement, et dès les premiers jours du régime, par sa gestion des ressources de l’Etat, qu’elles soient financières ou naturelles. 

C’est sous ce régime que le pays a connu le plus de scandales économiques et financiers et à une cadence si forte, que même le plus averti des observateurs ne peut les énumérer de mémoire ! Depuis le coup d’Etat de 2008, notre pays est victime d’un pillage organisé de ses ressources par une bande d’une ingéniosité exceptionnelle ! Rien n’échappe à la voracité de cette bande pour assouvir sa boulimie maladive d’enrichissement!

Ainsi, les marchés douteux sont devenus le mode privilégié pour la commande publique. A titre d’illustration, rappelons le nouvel aéroport de Nouakchott, l’extension du port autonome de Nouakchott et la construction du port de Tanit, les routes et voiries urbaines, la nouvelle centrale duale de Nouakchott, les aménagements agraires et les achats massifs d’engrais pour les campagnes agricoles, les produits destinés aux fameuses boutiques EMEL, les équipements des formations sanitaires, les avions pour la compagnie Mauritania Airlines, … .

Le détournement des deniers publics est systématisé, parfois même sans prendre aucune précaution de forme comme pour le don saoudien de 50 millions USD. Les ressources naturelles sont bradées pour que les détenteurs du pouvoir amassent des commissions substantielles (mines, pêche et terres arables), alors que le patrimoine immobilier de l’Etat est transféré, sans vergogne, à des prête-noms (terrains des blocs, caserne des Fanfares, une partie du Stade olympique, une partie de l’Ecole de Police, écoles publiques à Nouakchott, …). 

Le régime est même allé jusqu’à vendre l’ancien directeur des renseignements libyens aux nouvelles autorités de son pays après lui avoir soutiré des sommes colossales et lui avoir assuré qu’il pourrait passer paisiblement le reste de ses jours en Mauritanie ! Cette vente avait rapporté 250 Millions USD et tout le monde sait que ce montant a juste transité, trois jours durant, dans le compte du Trésor comme recette exceptionnelle du budget de l’Etat avant d’être transféré à son destinataire réel !

Nous pouvons donc, sans aucun risque de se tromper, dire que la gabegie et la corruption ont connu, sous le régime actuel, des proportions jamais égalées auparavant dans le pays. Pire, je dirais qu’elles sont devenues le mode de gestion du pays. 

-Selon le ministre des finances, le budget de l'état affiche un excédent de 30 milliards d'ouguiyas alors qu'il est incapable de payer des bons du Trésor échus. Comment l'économiste que vous êtes peut-il analyser cette situation ?

Le budget de l’Etat n’existe plus depuis le coup d’Etat de 2008 ! Nous assistons, depuis cette date, à une gestion budgétaire selon les desiderata du chef de l’Etat qui assimile les ressources du pays à son patrimoine privé. Chaque fin d’année, une loi de finances rectificative vient régulariser cette gestion patrimoniale de nos finances publiques, juste pour avoir l’air de respecter les formes ! Dans un tel contexte, parler d’excédent ou de déficit budgétaire n’a pas de sens.

Pour répondre avec plus de précision à votre question, j’ajouterai simplement que le paiement des dettes des particuliers sur l’Etat, qu’il s’agisse de bons du Trésor ou de marchés de travaux, de fournitures ou de prestations sont, depuis l’avènement de l’actuel régime, très fortement centralisés. Cette situation ne peut s’expliquer que par une volonté de marchandage et/ou des problèmes de trésorerie.

-À en croire certains confrères, le ministère des finances refuse depuis 3 ans de s’acquitter de la contribution de l’Etat dans le financement de certains projets en Mauritanie. Ce refus est-il sans conséquences ? Est-ce à dire que les institutions monétaires peuvent être complaisantes en la matière ? 

J’ai déjà entendu cette affirmation plusieurs fois, je n’exclus donc pas sa véracité. Comme je l’ai déjà souligné, la loi de finances n’est plus l’acte par lequel le parlement autorise le pouvoir exécutif à percevoir l'impôt et à engager les dépenses publiques pendant l’année considérée. Aujourd’hui le pouvoir exécutif est seul maître de la gestion des finances publiques et le passage devant le parlement est une simple formalité. 

Dans ces conditions, je ne serais pas étonné de voir certains projets privés d’une partie de la contribution de l’Etat à leur financement, même si cette contribution, dès lors qu’elle est prévue par une convention de financement ratifiée par l’Etat mauritanien, devrait s’imposer.

Les partenaires essaient de faire avancer les projets qu’ils financent mais connaissent bien comment fonctionne notre Etat aujourd’hui. Alors, ils procèdent avec tact. 

Propos recueillis par Dalay Lam