Procès des abolitionnistes ou procès de la torture | Mauriweb

Procès des abolitionnistes ou procès de la torture

mar, 16/08/2016 - 13:27

Le procès des abolitionnistes entre dans sa dernière ligne droite avec la fin lundi (15 aout) des auditions des 13 membres du directoire d’IRA. Comme il fallait s’y attendre, ils ont tous plaidé non coupable et réfuté les faits qui leur sont reprochés. Après le réquisitoire du procureur-accusateur, il y aura, ce mardi, les plaidoiries des conseils de la défense avant le délibéré de la Cour.
« Ce procès, émaillé d'incidents entre le tribunal et les avocats des accusés, s'est transformé tout au long de la journée, en réquisitoire contre la torture et les intimidations systématiquement pratiquées selon eux, par la police, pour extorquer des aveux et tenter de justifier des accusations fantaisistes de flagrant délit qui se sont évaporées aux premiers mots des accusés et de leur défense », fait remarquer Me Lô Gourmo.
Avant la levée de l'audience du procès des membres présumés de l'IRA vers 19h, les avocats des prévenus ont déposé auprès du président du Tribunal, une plainte en bonne et due forme, contre 9 membres des forces de police (2 commissaires, un officier, 2 inspecteurs, 2 brigadiers et 2 agents) pour actes de torture et de barbarie, commis sur la personne des accusés dont les témoignages précis et détaillés font froid dans le dos. Le président a enregistré la requête avant de suspendre la séance.  Que fera sous ce chapitre, la nouvelle institution dite mécanisme de lutte contre la Torture récemment adoptée par le régime à grand renfort de publicité? s’interroge Me Lô.
 

 Incidents  à la pelle
 Les incidents d’audience se sont multipliés à un rythme soutenu  la semaine dernière. Il y avait de l’électricité dans l’air, le mercredi 10 août. Le procès des abolitionnistes, loin de toute sérénité s’enlise et prend une tournure pour le moins inquiétante. Au quatrième jour, les incidents d’audience se sont multipliés à un rythme soutenu pour « un procès noir d'incidents emblématiques de l'état catastrophique de notre justice », se désole Me Lô Gourmo du pool des conseils de la défense. « Des débats stériles. Du jamais vu !!! », fulmine le président courroucé par les  interventions intempestives du parquet, de la défense et de la partie civile.

Face à la volonté de la cour d’auditionner chacun des 13 prévenus sans la présence des autres dans le box des accusés, la défense manifesta vigoureusement son refus. Au bout du compte, elle obtiendra satisfaction permettant de clore le premier accroc. Plus tard, lassés par le ballet incessant et les répliques  de la défense face aux charges du ministère public et menaçant certains conseils des prévenus d’expulsion, le président de la Cour criminelle, Mohamed Ould Issa avait sommé la police d’audience à dresser une haie. Les policiers ne se feront pas prier. Ce qui ne fut pas du goût des avocats qui ne tardèrent pas à manifester  ouvertement leur opposition. Durant ce cafouillage monstre, un des  conseils des prévenus  se fera bousculer par un policier. La tension, déjà perceptible depuis la reprise de l’audience, monta d’un cran et un méli mélo s’installa poussant de nouveau le président de la cour à suspendre pour la deuxième fois une audience cacophonique où seules s'entendaient sa voix  et celle du Procureur-accusateur (eux seuls ayant droit à un micro). A sa reprise une heure après, la défense, en guise de protestation, se signalera par son absence alors que le président, ses assesseurs, le ministère public et la partie civile avaient déjà pris place. Nouvelle suspension d’audience. Il aura fallu d’intenses tractations pour faire revenir la défense à de meilleurs sentiments.

Premier prévenu abolitionniste à se présenter à la barre, Moussa Ould Bilal Ould Biram a plaidé non coupable et réfuté les faits qui lui sont reprochés. Relatant les conditions de son arrestation et de détention marquées, dit-il, par 72 heures de tortures affligeantes avec privation de nourriture et de possibilité d’aller aux toilettes.
Il a nommément  cité  ses tortionnaires et évoqué non seulement le refus du procureur de la République de prendre en compte sa plainte contre ses bourreaux et de le faire bénéficier d’une réquisition, de manière à lui permettre d’être ausculté  par  un médecin.
Ayant pris l’habitude de s’enchainer symboliquement à chaque manifestation de IRA, Moussa Biram a, se félicitent ses camarades, marqué les esprits et surtout celui du  président de la République.
Lors de son  discours à Néma, Mohamed Ould Abdel Aziz avait laissé entendre que : « l’esclavage en tant que tel n’existe pas. Mais, il y a des gens qui s’enchainent qui se font passer comme esclaves et postent ça sur le net  et les télévisions. Et on n’y peut rien contre ces gens ».
Réconforté par ses « éléments de preuve » qui  impliqueraient  les prévenus, le procureur prévoyait de projeter sur écran  les photos et vidéos  créditant ses assertions. Le Procureur feignait d'ignorer le code de procédures qui interdit formellement, par son article 278, tout usage d'appareil d'enregistrement audiovisuel (appareil photographique, enregistrement sonore, vidéo, film...) en cours de séance. Y voyant un « montage grotesque », la défense objectera. Le brouhaha reprend de plus belle devant une assistance médusée symptomatique de « l'atmosphère de ce "procès" aux allures d'un théâtre guignol », de l’avis de Me Lô. N’arrivant pas à gérer ce troisième accroc  (empoignade verbale entre la défense et la partie civile au milieu), le président de décida de suspendre la séance jusqu'à lundi 15 août et ce sans trancher la question de l'usage de cet appareil pourtant clairement objet de l'article 278 du code de procédures.

 « Mise en scène de mauvaise qualité »
La Cour criminelle a usé de la force pour faire comparaître, le mardi 8 août, les 13 abolitionnistes qui avaient décidé de boycotter l’audience, en guise de protestation contre les arrestations et  les brutalités policières à l’encontre de leurs proches  et des sympathisants d’IRA.  Selon l’organisation, qui dénonce les  «agressions physiques», 9 de  ses militants souffrent « de douloureuses fractures aux bras, aux mains et aux pieds qui risquent de s'infecter et de provoquer de graves complications ».
Finalement, la  Cour  a  décidé, comme il fallait s’y attendre, de joindre les exceptions soulevées par la défense au fond rejetant ainsi la requête de la défense.
Les dix habitants de la gazra, qui avaient quant à eux décidé de se présenter devant  la Cour, ont plaidé non coupable, nié toute participation aux affrontements du 29 juin et déclaré ne connaître aucun des 13 prévenus membres de IRA. En revanche, ils ont indiqué pouvoir reconnaître un proche de Saad Ould Louleïd, un transfuge de IRA. Ils ont fait part à la Cour  des cas de torture dont ils ont été victimes les poussant à signer des procès verbaux.
L’organisation abolitionniste qualifie ce procès de «  mascarade » et y perçoit une « mise en scène de mauvaise qualité ».
Après avoir contesté le flagrant délit pour lequel sont jugés leurs clients, qui ont été arrêtés chez eux ou sur leurs lieux de travail et non durant les émeutes, les conseils  des abolitionnistes  avaient avancé, lundi, des preuves, selon eux, de vices de forme et d'erreurs de procédures suffisantes pour justifier la remise en liberté des prévenus. Cependant, ils n’ont pas été suivis par la Cour.
C’est dans cette optique que IRA Mauritanie a  demandé  aux prévenus et à leur  défense de « cesser d'interagir avec la Cour tant que la police continue à réprimer les militants d'IRA et leurs familles pour les empêcher de manifester pacifiquement devant le Palais de justice et de venir assister, à l'intérieur de la salle d'audience, au procès.
Les militants d'IRA sont des prisonniers d'opinion et ont droit à un procès publique, juste et équitable », ont-ils fait savoir.
Compte rendu THIAM (Le Calame)