Mauritanie. Liaisons dangereuses avec Al-Qaida (Courrier International) | Mauriweb

Mauritanie. Liaisons dangereuses avec Al-Qaida (Courrier International)

mer, 16/03/2016 - 09:11

Des documents attribués à Oussama Ben Laden viennent d’être déclassifiés par l’administration américaine. Ils révèlent qu’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) aurait passé, en 2010, un pacte de non-agression avec le pouvoir mauritanien.

Le testament de Ben Laden n’en finit pas de faire des révélations. Sa récente déclassification a apporté sur la place publique certains “petits secrets”, dont des lettres que Ben Laden avait envoyées à des proches. Parmi ces documents, se trouverait un contrat datant de 2010 établi entre Ben Laden et le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz. Il ne s’agit pas seulement d’un pacte de non-agression, comme certains pays au Sahel ont été tentés d’en passer (l’ex-président burkinabé Blaise Compaoré avait pu trouver des arrangements avec certains Touaregs extrémistes).

Aziz est allé beaucoup plus loin. En substance, son pacte avec le diable (renouvelable tous les ans) engageait Aqmi à s’abstenir de toute opération militaire en Mauritanie. Pour sa part, la Mauritanie se devait de ne pas attaquer les combattants du mouvement sur son sol et, surtout, de libérer des prisonniers membres d’Aqmi. Vrai ou faux ? Certains faits trahissent le pouvoir mauritanien qui, en 2015, a libéré, sans l’avoir jamais présenté à la justice, Sanda Ould Bouamama, l’un des principaux leaders de l’insurrection dans le nord du Mali et ancien porte-parole d’Ansar Dine (allié d’Aqmi). De même, le cas de Khadim Ould Semane suscite bien des interrogations. Ce chef d’Aqmi (en Mauritanie) arrêté en 2008 et condamné à mort en 2010 est… toujours en vie. Autre signe ? Ce pays est redevenu subitement calme après une spirale de violence : l’assassinat, le 24 décembre 2007, de quatre touristes français ; l’attaque de la base militaire d’Al-Ghallaouia, qui a coûté la vie à trois soldats ; l’attaque de l’ambassade d’Israël et d’une boîte de nuit à Nouakchott… Et depuis 2010, plus rien.

10 à 20 millions par an pour Aqmi

Par ailleurs, la Mauritanie devait, conformément au pacte, verser de 10 à 20 millions d’euros à Aqmi pour éviter les enlèvements de touristes. En d’autres termes, les djihadistes n’avaient plus besoin de mouiller la chemise pour enlever des étrangers puis négocier une rançon. D’emblée, ils étaient récompensés.
Au-delà de ces aspects gravissimes, l’accord explique aussi pourquoi le président mauritanien avait refusé, durant l’opération Serval menée en 2013 par la France dans le nord du Mali, d’apporter la moindre aide militaire au sol à son allié et ami français. A l’époque, on avait expliqué cette décision d’Aziz par les solidarités tribales entre les Maures mauritaniens et les communautés arabes ou les Touaregs maliens. Avec la révélation par les Américains d’accords secrets entre Aqmi et la Mauritanie, ces explications ne tiennent plus. La duplicité du pouvoir de Nouakchott apparaît en pleine lumière. Ainsi, on comprend aisément comment la Mauritanie a été épargnée par les attaques et attentats ces dernières années. Une situation qui ne trouve nullement sa justification dans les explications fantaisistes de Mohamed Ould Abdel Aziz qui clamait à tout vent que l’armée mauritanienne avait été, à partir de 2009, “restructurée, modernisée et préparée au nouveau contexte sous-régional”.
Au-delà de ce deal entre son régime et Aqmi, Aziz a offert, à partir de fin 2011, couverture et gîte aux principaux responsables du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad, rébellion touareg). Avec l’appui de Nouakchott, ce mouvement s’était allié à Aqmi et à d’autres groupes terroristes pour déstabiliser le nord du Mali. Alors question : y avait-il une alliance Nouakchott-Aqmi-MNLA ? On est tenté de répondre par l’affirmative.

Aziz discrédité 

Il sera désormais difficile pour Aziz de s’afficher comme le fidèle allié des Américains et des Européens contre le péril terroriste dans la région du Sahel. Il s’était, en effet, fait passer pour le gendarme de la stabilité dans cette zone. Et il en profitait pour régler ses comptes personnels. Ainsi, il vilipendait le président du Mali Amadou Toumani Touré pour son approche de la lutte contre le terrorisme. Ce dernier prônait, à l’époque, une approche régionale de grande envergure pour réduire la violence islamiste et les trafics en tout genre. Constant et convaincu de la pertinence de cette solution, le président Touré n’avait eu de cesse de soutenir que le terrorisme n’était pas “un problème malien”, et que ce mal nécessitait une approche politique, économique et sociale destinée à réduire les frustrations des populations, frustrations nourrissant la dynamique terroriste. Aujourd’hui, les faits lui donnent raison.

Issa B Dembélé

 

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